Matthieu Poirot-Delpech m’a pris comme assistant ces 6 dernières années. Notre collaboration a été une magnifique histoire humaine et professionnelle. Très vite, nous sommes devenus complices. Matthieu chef op, Martin Rossini second et moi comme premier. La fine équipe. Sa disparation brutale est une immense peine.
Au travail, il avait la constance et la grâce, il avait l’élégance. Il n’exigeait rien et pourtant nous lui donnions le meilleur de nous-même. Avec lui, tout devenait facile. Il était en perpétuelle recherche : une idée jaillissait, et il nous y associait. C’était toujours simple, novateur. Tous, dans l’ équipe, nous avions le sentiment d’effectuer un formidable travail collectif et d’être au service d’une idée juste. Je n’ai jamais été aussi heureux sur un plateau que lorsque je me trouvais à ses côtés, avec Martin.
En dehors du travail, Matthieu et moi avions en commun la vie de jeune père de famille. Comme moi, il aimait s’occuper du foyer, de sa femme et de ses enfants. Il nous arrivait fréquemment d’échanger des idées, des conseils. Il disait « Je te rappelle, je suis en cuisine » et il y mettait toute sa conscienciosité – il est pour toi, ce mot, Matthieu. Il m’a fait découvrir la purée de pois cassés. Il préparait les bulots comme personne, bien poivrés… Il était très fier de sa dernière expérience : des prunes à l’eau de vie, dont il m’avait fait parvenir des photos.
Nous partagions aussi le plaisir de naviguer. Il m’avait appris les rudiments pour me servir d’un sextant, cet instrument magique mais délicat. Je me souviens de ces quelques jours à Granville, il nous ouvrait grand les portes de la maison familiale. Une escapade en bateau à Chausey, les cris des enfants sur la plage, des coquillages pour agrémenter les pâtes du soir, quelques photos souvenirs et dès que possible, de la charcuterie, des fruits de mer, un verre à la main et une cigarette à la bouche.
Nous étions également unis par l’amour des mots et une joie farouche à dire les pires crétineries. La bêtise humaine nous réjouissait. Les réacs, les indifférents, les dupont-lajoie, les curés, tout un bestiaire à disposition de son humour féroce. Il se foutait de son apparence, il se moquait de lui-même. Il imitait la crevette comme personne.
Aimer, travailler, manger, boire, parler, rire et y mettre tout son coeur. C’est cela qu’au fond Matthieu incarnait, une exigence de sincérité à tout prix. Il aimait les films de Robert Altman et de Kaurismaki, il écoutait Boris Vian, Charles Trenet et Boby Lapointe. Les héros, les niais, les gentils l’emmerdaient. Car, pour lui, tout ce qui est parfaitement achevé, lisse, sans aspérité ni scorie, devient une supercherie.
Dernièrement, il m’a confié combien il se sentait épanoui dans son travail, avec son équipe. Il refusait les projets qui ne l’intéressaient pas. Il se sentait libre et heureux.
Je vous souhaite tous de rencontrer votre Matthieu Poirot.
Le mien ressemblait à Harpo Marx et c’était un poète.
Pierre Chevrin