Ces états généraux se sont déroulés à la Fémis, le 4 mars 2020 de 10h à 17h, modérés le matin par Tania De Montaigne (écrivaine et journaliste) et l’après-midi par Iris Brey (universitaire et journaliste). La conférence était aussi diffusée en direct sur Facebook Live et également participative grâce à un site internet qui nous permettait d’accéder aux documents.
Le Collectif 50/50, crée après l’affaire Weinstein, s’est donné pour mission de faire baisser le pourcentage de films faits et produits par des hommes : 88 % ! L’objectif de cette journée était de s’associer avec l’entièreté de la profession et des associations professionnelles afin de trouver des solutions. Grâce aux travaux préparatoires de ces états généraux, le Collectif 50/50 s’est rendu compte qu’il existait déjà des dispositifs. La journée a été dense et très chargée, voici un petit aperçu de ce qui s’est dit…
Retrouvez le programme de la journée ci-dessous :
Qu’est-ce que le harcèlement et l’agression ?
Le harcèlement moral ou sexuel
Un acte imposé, unique ou répété, qui intimide et porte atteinte à la dignité. Il peut aussi s’exercer à travers une ambiance malfaisante au travail ; et être à caractère sexuel ou dans le but d’un acte sexuel. La drague lourde, c’est du harcèlement sexuel.
L’agression sexuelle
Toucher une partie du corps sexualisée sans consentement.
Vidéo #PayeTonTournage à retrouver sur le Facebook du Collectif 50/50
• Contours, enjeux et états des lieux
(1re partie de 10h à 13h, modérée par Tania de Montaigne)
• Première intervention : Alice Godart
Cofondatrice du compte Instagram/Tumblr « Paye ton tournage » qui collecte les témoignages, les phrases assassines que les femmes subissent sur les tournages, sur le modèle de « Paye ta shnek ». Le succès du compte a été très rapide et elles ont pu récolter près d’une cinquantaine de témoignages de tout bord : ingénieure du son, cheffe opératrice, productrice, technicienne, étudiante, etc. Pour beaucoup de femmes, ces témoignages ont été un soulagement.
Quelques chiffres :
- 1 femme sur 5 a déjà été harcelée au travail et dans 70% des cas, personne n’est au courant.
- 80% des femmes ont entendu ou ont été confrontées à des attitudes sexistes au travail.
Sur 200 témoignages :
- 31% des remarques portent sur les compétences de la femme
- 21% portent sur du harcèlement sexuel
- 14% portent sur le physique des femmes
- 10% proviennent d’écoles de cinéma qui perpétuent les clichés
- 8% sont du harcèlement moral
- 2% slut shaming
- 2% homophobie
- 1,3% racisme
- le reste : viols, agressions, etc.
• Deuxième intervention : Didier Carton
Président du CCHSCT (www.cchscinema.org – Comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la production cinématographique) qui siège au comité en compagnie du CMB, des représentant·es des producteurs·trices, des représentant·es des syndicats, il a présenté son comité comme étant une ressource à ne pas négliger concernant le harcèlement. Ce comité permet de donner des conseils pour et par le travail :
- Il œuvre pour la prévention et l’amélioration des conditions de travail.
- Le comité permet de mettre en place des outils et d’en informer les pouvoirs publics afin de faire avancer les choses en termes de sécurité, d’hygiène ou de RPS (Risques psychosociaux).
Didier Carton a rappelé la définition du harcèlement : le harcèlement moral est un agissement répété qui a pour objet ou pour effet de nuire à une personne. Le harcèlement sexuel est l’effet de subir des actions répétées d’ordre sexuel ou sexiste. Il est défini dans les deux codes (pénal et travail), pourtant, on n’apprend pas sa définition à l’école. Le harcèlement tient du Code pénal et du Code du travail, mais pas les agressions sexuelles ! En effet, on n’avait pas imaginé que les agressions sexuelles au travail seraient possibles ! L’employeur·se se doit, en cas de harcèlement, d’y mettre un terme : donc de séparer les deux protagonistes, de sanctionner quand les faits sont avérés et enfin d’accompagner la victime.
• Troisième intervention : Jade Dousselin
Avocate pénaliste qui nous a rappelé que le harcèlement est un DÉLIT et est passible de 2 ans d’emprisonnement ainsi que de 30.000€ d’amende.
Le plus dur pour les protagonistes, c’est de se déclarer VICTIME et de porter plainte, car porter plainte, cela coûte cher (entre 2000€ et 5000€ pour les avocat·e·s), mais il existe des associations avec des fonds de dotation pour accompagner les victimes. Le pire, c’est qu’il est plus rentable de défendre les agresseur·se·s que les victimes ! Le rôle de l’avocat·e va être d’accompagner les victimes à porter plainte et de pouvoir essayer d’entendre l’histoire en entier, pour que cela ne retombe pas sur la victime au moment du procès de l’agresseur·se. Il est difficile de porter plainte, notamment parce que le personnel d’un commissariat n’est pas encore bien formé à ce genre de cas et propose souvent des mains courantes : il faut insister pour porter plainte ! La deuxième étape est de porter le dossier devant un procureur·e de la République qui va donner ou non suite. Les étapes sont longues, difficiles et lourdes. Il faut aussi rassembler des preuves : les témoignages sont très importants dans le cas de harcèlement de toute sorte.
Jade Dousselin nous a rappelé que la loi a été changée récemment et qu’elle n’est plus du point de vue du ou de la harceleur·se, mais du point de vue de la victime ; c’est un gros changement pour la loi. Parfois la meilleure solution est de dire « Stop ! » dès les premiers signes de harcèlement et non pas quand la coupe est pleine ; mais en réalité les gens portent plainte quand ils n’en peuvent plus.
Il est important de retenir que le harcèlement ne tient pas de l’ordre de la morale, mais bien du Code pénal. Les agissements sexistes ne tiennent pas encore du droit pénal, car on a encore du mal à les définir.
• Quatrième intervention : Elisabeth Vieyra
Intervenante dans des entreprises pour la prévention des risques professionnels, elle a rappelé que les plaintes contre le ou la harceleur·se tient du pénal, et que l’on peut aussi porter plainte auprès des prudhommes contre notre employeur, car ces derniers sont responsables de notre sécurité au travail.
• Cinquième intervention : Anne-Cécile Mailfert
Présidente de la Fondation des femmes (www.fondationdesfemmes.org), elle a soulevé le gros problème de l’argent en ce qui concerne le Ministère des Droits des Femmes (qui se trouve être le moins bien doté en termes de subvention et de budget). La Fondation des Femmes essaye donc de rassembler de l’argent pour payer les avocat·e·s ou bien pour un soutien matériel aux victimes. Elle est aussi créatrice de « la Cité audacieuse » qui est un lieu qui accueille des associations qui se battent pour les droits des femmes, ou contre les violences faites aux femmes. Elle leur offre ainsi un lieu physique pour se rencontrer, débattre, accueillir et se rassembler ou tout simplement un bureau pour travailler. Elle a rappelé le numéro 3919 (violence faite aux femmes) et le 0800 595 595 (victime et témoin de viol).
Elle a rappelé que les violeurs étaient souvent du même milieu que la victime : travail ou famille, et très rarement un inconnu croisé dans la rue à 2h du matin. Il faut avoir du pouvoir sur la personne pour la forcer. La peur ou la menace de perdre son travail par exemple sont souvent mises à contribution. La consigne de se taire marque en général le moment du traumatisme. L’agresseur aime souvent forcer, avoir le pouvoir. Ce ne sont pas des pulsions auxquelles il se plie. C’est donc souvent un récidiviste.
Intervention aussi de l’AVFT (www.avft.org – association des violences faites aux femmes au travail) qui est créatrice de la campagne « MAINTENANT, ON AGIT ».
• Sixième intervention : Nathalie Chéron et Sophie Laine Diodovic
Respectivement présidente et secrétaire de l’ARDA (https://assorda.com – Association des responsables de distribution artistique), elles militent pour une mise en place d’un·e « coordinateur·trice d’intimité » pour supprimer les « débordements », coordonner les scènes de sexe, de nu, etc. comme des cascades et de convenir à une entente entre scénario, metteur en scène et comédiens (comme par exemple qu’il soit mentionné dans le scénario si le personnage doit être nu pour la scène). Certains agents savent que leurs comédien·ne·s se retrouvent parfois dans des situations inconfortables et ne disent rien. Il faut remettre les faits dans leur contexte pénal et légal : personne n’est au-dessus des lois.
• Septième intervention : Marie-Pierre Journet
Membre de l’association LFA (lesfemmessaniment.fr – Les Femmes s’Animent) créée par un groupe de femmes représentant un large panel de métiers de l’animation en France. LFA a été à l’initiative des plaquettes d’information contre le harcèlement et le sexisme qui touchent leur métier.
• Huitième intervention : Daniela Elstner
Directrice générale d’UNIFRANCE, elle souhaite mettre en place une caisse pour payer les avocat·es des victimes. Elle a rappelé les actions faites : lors du festival UNIFRANCE, elle a fait distribuer une lettre à toutes les personnes présentes à ce festival, sous forme de charte afin de rappeler à tout le monde la définition du harcèlement ainsi que les peines encourues.
Pour elle, le gros problème est l’inaction des pouvoirs publics et l’inexistence de formation. Elle souhaiterait mettre en place une charte qui réunirait tous les enjeux et toutes les formes de harcèlement.
• Neuvième intervention : AAFA
L’AAFA (https://aafa-asso.info – Acteurs/Actrices de France Associés) nous a présenté une charte écrite par leurs soins qui serait accolée à chaque contrat de travail et qui rappelle les responsabilités de chacun et le code de conduite à adopter sur le tournage. Elle a aussi rappelé le travail qu’ils ont effectué notamment sur le regroupement des plaintes des acteur·trices.
• Dernière intervention : CNC
Le CNC est aussi intervenu avec la Femis pour parler de la mise en place prochainement d’une formation contre le harcèlement ainsi que d’une cellule d’écoute en partenariat avec Audiens. Le cahier des charges de cette formation serait de former 2 personnes par entreprise, de former des référent·es tournages et enfin de former les représentant·es d’entreprises.
La formation se déroulerait comme suit :
- définir et qualifier le harcèlement et le sexisme, détecter les situations à risque
- responsabilité de l’employeur et les peines encourues
- mobiliser des ressources nécessaires pour accompagner les victimes
- sensibiliser son équipe
- comment conduire une enquête
La formation serait conduite à partir de 2021 (appel d’offres en octobre 2020) et se déroulerait une fois par mois (30 formations de prévues).
• Table ronde : Réception de la parole – la hotline et le référent plateau
(2e partie de 14h à 17h, modérée par Iris Brey)
• Table ronde : Le rôle des assurances
(3e partie de 14h à 17h, modérée par Iris Brey)
L’après-midi s’est déroulé sous forme de deux tables rondes avec de nombreux intervenant·es et de questions-réponses avec le public.
Il a été rappelé certains points :
- L’employeur a le devoir (en cas de plainte) de séparer les protagonistes. Il doit ensuite faire en sorte d’enquêter pour savoir ce qu’il s’est réellement passé (écouter les deux personnes et recueillir des témoignages). Il se doit de rester neutre et il a l’obligation d’agir.
- Le rôle du·de la référent·e ? Cela ne doit pas être une personne du tournage, car il peut y avoir un conflit d’intérêts. Pour l’instant, ce poste est rempli par un·e assistant·e de production, faute de mieux.
- Certaines productions insistent pour mettre plus de femmes à des postes importants, protègent leurs talents, font attention à ne pas produire du contenu sexiste.
- Intervention du collectif ÉQUILIBRES (https://equilibres.eu) : faire évoluer les contrats pour mieux informer les salariés. L’idée est de faire ajouter une clause sur le harcèlement dans le contrat de travail accompagné de l’envoi d’un mail qui porte une attention particulière sur ce nouvel article au contrat en disant que le tournage peut être arrêté si un cas d’agression ou de harcèlement est avéré. À ce sujet, 2 producteurs sont intervenus pour préciser qu’ils avaient déjà mis en pratique ces décisions.
Compte-rendu rédigé par Lilla Smoluch et Julie Guignier
En complément
Présentation de la plaquette d’information du ministère du travail :
« Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner »
(PDF – 54 pages)