Quel est ton parcours, comment es tu devenu étalonneur numérique pour le cinéma ?
Je suis passé par plusieurs formations, la première étant un BTS montage, et la deuxième une école, l’ESAV à Toulouse, en spécialité prise de vue.
Je suis entré en laboratoire ciné (LTC – ScanLab) pour faire un stage et mon mémoire de fin d’études dont le sujet était « L’étalonnage numérique ».
Scanlab m’a ensuite proposé du travail.
Je suis resté parce que les outils numériques élargissaient la marge créatrice de l’étalonnage, qui me paraissait plus étroite dans la filière traditionnelle.
J’ai donc mis quelques années pour en arriver là, en passant par le nodal, la restauration, les scans ; attendant patiemment un poste au télécinéma des rushes, et à l’étalonnage numérique.
Peux tu nous re-préciser où commence ton travail ?
Si les choses sont bien faites, on attaque dès les essais maquillage.
Lors de ces essais, le laboratoire va proposer en accord avec le directeur de la photo, une chaîne de post production.
Par exemple pour un tournage en 35mm 3 perfs, on fera un scan 2k des images et un retour sur film.
Il s’agit alors de tester tout le dispositif : la caméra, le support (différents types de pellicule), l’étalonneur en condition, avec le scanner, le logiciel d’étalonnage, la machine pour shooter le négatif et jusqu’à la tireuse, qui seront utilisés 6 mois ou 1 an plus tard lors de l’étalonnage du film.
C’est le même principe sur une chaîne traditionnelle ou numérique.
Pendant le tournage, le suivi va se faire par un autre étalonneur délégué aux rushes. Il sera attentif à tout ce qui concerne les problèmes de point, d’exposition de rayure… Il vérifie la qualité des images pour une exploitation en salle.
Quelques mois plus tard, le monteur envoie une EDL (Edit List), et l’on refait le montage en haute définition, ou en 2k, suivant ce qui a été choisi durant les essais.
Pour ma part, je récupère le projet après le montage. Je reviens donc aux manettes quand le film est conformé.
À partir de quel moment recommences-tu à travailler avec le chef opérateur ? Quelle est la part de travail que tu effectues seul ?
On peut se « revoir » pendant le tournage, s’il y a un doute sur une séquence. Il s’agit de savoir si ce qui a été fait est exploitable. On lance alors un petit bout d’étalonnage et un shoot pour voir, toujours en suivant la même chaîne. Cela permet d’évaluer s’il faut prévoir des retakes.
Sinon on se met au travail dès que le film est conformé, et en fonction des disponibilités de chacun évidemment. Dans le meilleur des mondes : le réalisateur et le chef opérateur sont disponibles ensemble et on attaque tous les trois, dès le premier jour d’étalonnage, et ce pour 3 semaines.
La plupart du temps les réalisateurs n’aiment pas rester aussi longtemps, donc ils passent 2 à 3 fois par semaine « pour voir ». On s’arrange avec le chef opérateur pour lui présenter régulièrement notre travail. C’est un vrai binôme : chef opérateur / étalonneur.
Il y a aussi des chefs opérateurs qui sont repartis en tournage. On travaille alors le week end et le soir. On pose ensemble les ambiances, les lumières pour les plans larges. On essaie de sonder tout le film comme ça, et je fais les raccords tout seul. Je fais aussi des propositions parce que le chef opérateur n’a pas le temps de tout voir et qu’il y a souvent des questions qui se posent quand il n’est pas là.
Cela peut devenir compliqué quand je tombe d’accord avec le chef opérateur après quelques modifications, pour au final ne pas avoir la validation du réalisateur…
Mais c’est avant tout le regard du réalisateur que l’on doit satisfaire, le notre est secondaire.
L’idéal c’est de travailler avec les deux en même temps.
Est-ce que tu es passé par le photochimique pour devenir étalonneur numérique?
Non, sauf pour mon stage. Au final, on peut dire que j’y participe quand même puisque après l’étalonnage numérique on shoot un négatif, dont on tirera un positif par photochimie. Et si ce n’est pas moi qui le fais directement, je regarde l’image avec l’étalonneur photochimique pour décider des rectifications à opérer.
Cela aurait pu être ton parcours de passer par ce poste ?
J’aurais pu mais cela m’intéressait moins. Je savais que l’étalonnage traditionnel allait mourir, et que la vidéo, par son approche et ses outils, serait l’étalonnage du futur.
J’essaie cependant aujourd’hui d’intégrer la « philosophie » photochimique dans mon travail.
Etalonnage traditionnel ou numérique, quel choix ?
Pour le court métrage, qui n’a pas besoin de beaucoup de copies, cela vaut encore le coup de passer par le traditionnel car on peut directement tirer à partir du négatif.
Il faut savoir qu’on ne fait pas mieux aujourd’hui en terme d’image projetée que de faire un tirage directement du négatif vers le positif. C’est toujours le meilleur. Notamment en scope anamorphique où l’on bénéficie d’une définition exceptionnelle.
En long métrage apparaît en revanche un problème : c’est le DCI (DCP ou Jpeg2000) c’est à dire la diffusion numérique du film.
En effet, après être passé par toute une chaîne traditionnelle, on obtient un positif par tirage photochimique, mais il faut un master numérique (nécessaire pour le dvd, le blue ray, et la diffusion télé). Et pour ce master on doit refaire un étalonnage.
On fait un télécinéma HD de l’interpositif car il contient le travail de l’étalonneur photochimique, cela permet d’aller plus vite pour l’étalonnage vidéo.
La HD n’étant pas suffisante pour une copie numérique cinéma, la solution préconisée est le scan 2k, mais celui-ci coûte très cher.
Dans le cas d’une chaîne d’étalonnage traditionnelle, il faudrait refaire un scan total du film en 2k pour la diffusion numérique en salle, dont on tirerait ensuite un master HD pour l’exploitation vidéo (dvd, blue ray, diffusion télé). Le producteur se retrouverait à payer deux fois.
Le choix de l’étalonnage numérique s’impose donc dès le départ, et non plus seulement en fonction du nombre de plans à truquer.
Tous les films tournés en pellicule que l’on voit en salle aujourd’hui sont à 90% faits à partir d’un scan 2k. De celui-ci découlent toutes les formes de projections (le DCI, le master numérique et la copie 35). Cela coûte moins cher et surtout c’est plus efficace car le travail d’étalonnage n’est pas à faire deux fois.
Pour le téléfilm c’est différent. Ils vont tout de suite faire un télécinéma HD des images ; et ils ne reviennent pas sur le négatif. Je pense que la diffusion numérique des films en salle va très rapidement sonner le glas de la post production traditionnelle argentique.
Quelles sont les différences que tu entrevois à l’étalonnage entre les caméras de prises de vue numérique (notamment la RED, la D21 et les Sony HD) ?
– Je connais la 900R (Sony) notamment, et personnellement je ne l’aime pas trop.
Dans les contours des zones surexposées, on retrouve toutes les couleurs de l’arc en ciel, et je trouve cela horrible ! De plus elle a un rendu « très télé », très vidéo. Les images semblent trop nettes, ce qui est principalement dû à la taille du capteur…
– Concernant la Red, je trouve qu’elle apporte tout un tas d’avantages.
Le fait d’enregistrer en raw compressé sur des cartes flash ou des disques durs, cela a amené un allègement du tournage et de la post production. Ce qui est génial.
De plus, l’étalonnage à partir du raw nous donne plus de latitude, même si la caméra n’est pas très dynamique. On peut récupérer du détail dans les hautes et dans les basses lumières.
Certes, c’est une caméra qui demande plus de travail en étalonnage, mais pour arriver à des choses très intéressantes par rapport à son prix. L’idéal serait de reporter une partie des économies réalisées au tournage pour la post production.
Peux-tu nous parler de ce que tu as vu en étalonnage avec la D21 ?
Je peux même la comparer avec la Red car j’ai fait des tests assez précis entre ces deux caméras (même plan, mêmes conditions, puis étalonnage).
La D21, elle sort tout de suite bien. On a immédiatement une image «très 35 » là où la Red en général ne plaît pas trop !
Avec la Red, on part du raw qui est peu contraste et très désaturé. A partir du moment où l’on recolle du contraste, que l’on remet de la saturation, cela va mieux.
Lorsque je travaille sur un projet en Red c’est quelque chose que je fais d’office. On démarre avec le chef opérateur (et le réalisateur) et j’ai déjà re-saturé, re-contrasté les images, en fait je leur montre une base de travail (ce qui est quand même toujours plus proche du final).
Mon idée avec ce test, c’était d’essayer d’avoir le même résultat à l’étalonnage avec les deux caméras. J’ai réussi mais il faut dire que je suis allé un peu «trifouiller » le signal de la Red.
Est-ce qu’on peut dire que tu as obtenu le même résultat?
Pas tout à fait, et au final sur ces essais j’ai préféré la Red qui a un rendu plus doux. Elle diffère de la D21, notamment pour le piqué et la « rondeur ».
Pour la Arri, l’avantage c’est que l’on voit une image plus proche de l’intention du directeur de la photo dès le tournage, ainsi qu’au montage.
Je la trouve aussi plus riche en terme de couleurs, notamment dans les verts, qui restent pour moi une faiblesse de la Red. J’ai fait ce test, mais rappelons tout de même que ces caméras ne sont pas dans la même gamme de prix !
Est-ce que tu penses que le travail de l’opérateur (plateau et post prod) change avec des caméras tel que la Red ?
Disons qu’il y a un énorme travail pour casser la dynamique. Il faut ruser pour arriver à avoir du détail partout, la dynamique n’étant pas très forte. C’est déjà un travail dur, et cela tout en arrivant à avoir sur les visages une direction de lumière intéressante pour le chef opérateur.
Pour l’étalonnage il y a surtout un boulot à faire en plus en terme de couleurs. Je trouve par exemple que les verts sont vraiment éteints. Ils sont souvent froids et ternes donc il faut leur redonner du pep’s. Cela prend du temps.
A propos de la Red, il est important de noter que les rendus des caméras semblent assez différents. Les capteurs, couplé aux builds, me paraissent peu homogènes. Cela a d’ailleurs brouillé quelques pistes dans l’élaboration des processus de post-production.
Quels sont les projets sur lesquels tu travailles en ce moment ?
Il y a un mois, j’ai terminé un film tourné en 35mm (« L’amour c’est mieux à deux » Image : Eric Guichard), scanné en 2k et étalonné sur Lustre. Ensuite j’ai fait un long métrage tourné en Red et étalonné sur Scratch (« Les petits ruisseaux » Image : Benoit Chamaillard)
Prochainement je vais faire un film qui a été tourné en Sony 900R (« Vénus Noire » Image : Lubomir Bakchev), et un autre en D21.
Le Scratch c’est exclusivement pour la Red c’est ça ?
En fait c’est pour tout. C’était le seul logiciel qui proposait l’étalonnage des fichiers raw de la red (directement à partir r3d). Mais on peut aussi étalonner du 2k, du 4k…
Pour finir, as-tu un message, une remarque à faire aux assistants opérateurs ?
Je dirais simplement : de ne pas se faire avoir par leur chef opérateur !
Par là je veux dire, qu’il faut savoir dire non quand un plan ne vous semble pas faisable au point, c’est important. Pour moi la première catastrophe, le plus gros déchet que j’ai à l’image c’est le point.
En étalonnage numérique on arrive à rattraper tout un tas de choses, mais le point… On peut tenter de remettre du piqué… Mais dans de faibles proportions car cela devient vite très moche !
Je conseillerais juste aux jeunes premiers assistants, de le dire tout simplement. Il est bon d’aller dans le sens du chef opérateur, de dire oui, mais pour les histoires de point c’est vous qui sautez si c’est flou…
Essayez de défendre des ouvertures de diaph moins risquées. Je sais que c’est dur car le diaph dépend de la quantité de lumière, et donc du budget du film…
Et puis un petit rappel : il est possible de créer une relation avec l’opérateur télécinéma. C’est le seul et le premier qui voit les images précisément. Le jour où vous avez des craintes, appelez le rapidement pour qu’il vous fasse un rapport précis. C’est toujours mieux d’avoir les informations à la source, que de l’apprendre de son chef opérateur ou du directeur de production !
Entretien réalisé le 22 décembre 2009 chez Duran
Retranscription Anaïs Ravel-Chapuis