En tant qu’assistant opérateur argentin, une des choses qui m’a le plus surpris lorsque j’ai commencé à travailler en France est le fait que les assistants caméra n’incluaient pas l’essai de résolution au moment de faire leurs essais caméra ; alors qu’en Argentine, il fait partie de nos essais de base tout comme ceux de fixité, conformité de cadre, etc. (par contre, on ne s’occupe pas autant du calage des optiques qu’ici).
Qu’est-ce que le pouvoir de résolution d’une optique ?
Le pouvoir de résolution d’une optique (appelé aussi pouvoir séparateur) est la « mesure » de sa capacité à restituer l’image d’objets très proches afin qu’ils soient vus comme des objets séparés. Autrement dit, une mesure du diamètre des points avec lesquels une optique forme une image. Elle s’exprime en lignes par millimètre.
Une méthode possible pour faire ce test est d’utiliser la Charte de Century : Focus and Test Chart. La lecture du pouvoir de résolution d’une optique sur cette charte nous permet ainsi de connaître son cercle de confusion à partir duquel nous pourrons faire nos calculs de profondeur de champ. Mais attention : la valeur obtenue est liée au couple objectif-pellicule. La même focale filmée avec une autre émulsion (plus fine par ex.) donnera très probablement des résultats différents. Ce test ne vaut donc que pour votre configuration de tournage.
Les dimensions de la charte sont de 63 cm x 97 cm.
Il y a des mires au centre de la charte et aux quatre coins.
À chaque mire correspond une lettre allant du « A » au « M ».
Il y a également quatre étoiles de Siemens.
Comment réaliser ce test en utilisant la charte de Century ?
- A quelle distance de la Charte faut-il placer la caméra ?
Placer la caméra face à la charte, à une distance déterminée dépendant de la distance focale de l’objectif utilisé et de la taille du format de tournage. Cette distance se mesure en nombre de distances focales (25X la distance focale, 50X, 100X…)
Par exemple, si on place une optique de 50mm à une distance de 100X (100 fois la distance focale), cela signifie qu’on placera la caméra à 5 mètres (50mm x 100) ; et si on filme à 50X avec cette même optique, on placera la caméra à 2,5 mètres (25mm x 50). Un tableau « Distances from chart » reprend les focales et les distances possibles.
- Depuis où faut-il mesurer cette distance ?
Il y a une erreur classique qui consiste à penser que le distance 50X (par ex.), se mesure depuis le plan-film. Or ce n’est pas le cas. Cette valeur est calculée depuis le centre optique de l’objectif. C’est pour cela que, dans le tableau « Distances from Chart », il y a 2 valeurs pour chaque distance : « To lens » (jusqu’au centre optique) et « To image » (jusqu’au plan focal – ou plan film). Pour être plus précis dans notre essai, je recommande d’utiliser la distance jusqu’au plan-film.
La valeur « To image » a été obtenue en ajoutant, à la distance qu’il y a entre la charte et le centre optique (To lens), l’équivalent de la distance focale de l’objectif testé, puisque le plan film se trouve à « une distance focale » plus loin de la charte que le centre de l’optique.
Exemple : prenons un 40mm à 50X ; la distance « To lens » est donc de 40mm x 50 = 2 mètres ; la distance au plan-film « To image » sera donc de (40mm x 50) + 40mm = 40mm x 51 = 2,04 mètres. Il suffit donc de rajouter 1 au nombre de distances focales choisi : 100 x la distance focale + 1 x la distance focale = 101X ; 51X ; 26X… En pratique, choisissez toujours dans le tableau la distance « To image » et mesurez là depuis le repère du plan film.
- Comment choisir la distance à laquelle filmer (25X, 50X, 100X ou 200X) ?
Ce qui nous importe, c’est que la charte occupe toute l’image afin d’avoir des mires au centre et aux bords de l’optique. En pratique, on se retrouve souvent à filmer à 50X pour le 35mm et à 100X pour le 16mm.
- Vérifier le parallélisme de la charte et du plan-film
Il est très important que le plan focal soit parallèle à la charte. La caméra doit se placer exactement au centre de celle-ci, en hauteur et en largeur. Pour cela, il suffit de placer un miroir au centre de la charte et de centrer la croix du dépoli sur le centre de l’objectif réfléchie dans le miroir.
- Comment éclairer la charte ?
La charte doit être éclairée de façon très uniforme, pour qu’ensuite il n’y ait pas d’erreur dans la lecture. Je recommande d’éclairer avec deux sources de lumière à 45 degrés et d’utiliser des diffuseurs ; ensuite mesurer avec une cellule à lumière incidente le centre et les quatre coins de la charte, jusqu’à obtenir exactement le même diaphragme sur les 5 mires.
Il faut prendre en compte le fait que nous ferons l’essai avec le diaphragme le plus ouvert permis par l’optique (parce que c’est normalement avec ce diaphragme qu’on a le moins de résolution, à cause des aberrations qui se trouvent sur le bord des optiques), et ensuite on répètera l’essai en fermant de deux diaphs, au niveau où l’optique nous donnera sa résolution maximum.
Bien sûr, on ne doit pas mettre de filtres devant l’optique quand on réalise cet essai. Il faut donc changer la distance des lumières (ou mettre des gélatines ND6 sur les sources), pour obtenir la lumière nécessaire pour chacun des deux diaphragmes.
Éviter les « flares » sur l’optique. Un changement de contraste peut nuire à la lecture.
- Impressionner l’essai
Il faut faire le test avec chacune des optiques qu’on va utiliser.
Pour chaque objectif, impressionner environ deux mètres de pellicule avec le diaphragme le plus ouvert, et ensuite deux mètres en fermant de deux diaphs (comme expliqué ci-dessus, en changeant la lumière qui éclaire la charte).
Pour chaque prise, inclure une identification avec les données suivantes : date, production, optique (marque, numéro de série, distance focale,), distance (ex: 100X), pellicule, diaphragme utilisé.
Comment se lisent ces essais ?
Une fois le négatif développé, il faut lire le résultat sur un microscope. On regarde un photogramme de chaque prise avec une loupe d’au moins 10X (qui, en théorie, nous permet de lire jusqu’à 100 lignes/mm). Le but de cette lecture est de trouver quelle est la mire la plus petite où l’on peut encore distinguer – et même compter – les lignes, aussi bien verticales qu’horizontales. Les mires qu’on ne peut pas distinguer se voient comme un carré gris créé par le mélange des lignes blanches et noires.
Dans le tableau « Pouvoir de résolution – Récapitulatif », chercher la case qui correspond à la lettre de la plus petite mire lue et à la distance à laquelle on a filmé. Par exemple, si la plus petite mire que l’on lit est la D et qu’on a filmé à 50X, cela signifie que cette optique avec ce diaphragme (et cette pellicule) a un pouvoir de résolution de 42 lignes par millimètre. Autrement dit, les points les plus petits que cette optique peut former sont d’un diamètre d’1/42mm.
Et cela veut dire que notre cercle de confusion est donc de 0,024 mm (1mm ÷ 42).
Il est a noter que le minimum de pouvoir de résolution acceptable pour une optique est de 40 lignes/mm (soit la mire D à 50X et la mire F à 100X).
Notez que le pouvoir de résolution des mires lues au bord de la charte peut être inférieur à celles situées au centre à cause des aberrations qui peuvent se trouver sur les bords des optiques.
Pourquoi avoir réalisé le test avec 2 diaphragmes différents ?
- A pleine ouverture, on saura si le pouvoir de résolution de cette optique est encore suffisant (soit 40 lignes/mm au minimum). Le résultat obtenu nous donnera donc le cercle de confusion le plus tolérant.
- Avec un diaph légèrement plus fermé, on connaîtra le véritable pouvoir de résolution de cette optique, donc « notre » cercle de confusion optimum à utiliser.
Même si cet essai sert à tester le pouvoir de résolution des optiques, il ne faut pas oublier l’incidence du type d’émulsion qu’on est en train d’utiliser. Sur une pellicule de 50 ISO (à faible granularité), par exemple, on pourra former avec une même optique des points plus petits que sur une pellicule de 500 ISO (à plus forte granularité). C’est pourquoi l’idéal est de faire cet essai avec l’émulsion qu’on va utiliser pour le tournage, afin d’obtenir le cercle de confusion le plus juste.
Pour aller encore plus loin, on peut lire cet essai en projetant le négatif (et même une copie positive de ce négatif), filtrant ainsi le test au travers de l’optique du projecteur, et ayant ainsi des conditions plus proches de celles de visualisation du film.
En réponse aux critiques disant que la lecture de cet essai est trop « subjective », car elle dépend de la personne qui regarde à travers la loupe, on pourrait très bien mesurer les mires avec un micro-densitomètre, et rendre ainsi la lecture de l’essai plus scientifique.
Qu’en est-il des caméras numériques ?
La meilleure façon de lire ces essais en numérique serait de les voir sur un moniteur ou un projecteur d’une résolution égale ou supérieure à celle du format avec lequel on travaille. Ensuite la procédure est la même.
À quoi cet essai sert-il concrètement ?
Habituellement, en 35mm, on utilise comme cercle de confusion des valeurs proches de 0,025mm. Cette valeur provient en fait d’une convention qui a déterminée ce chiffre comme un standard. C’est pour cela qu’on dit que le pouvoir de résolution minimum acceptable pour une optique en tournage 35mm est de 40 lignes par millimètre (1/40mm = 0,025mm). Mais qui nous dit que ce cercle de 0,025mm est valable pour notre configuration de tournage ?
En réalisant ce test, on pourra vérifier si, effectivement, en filmant à 50X, notre optique a eu un pouvoir de résolution suffisant pour lire la mire D (0,025mm). Si au contraire, notre optique a seulement un pouvoir de résolution suffisant pour lire la mire E (29 lignes/mm à 50X), notre cercle de confusion sera alors de 1/29mm = 0,034mm, et on aura une image moins « piquée » avec plus de profondeur de champ. De la même manière, si on a une très bonne optique qui nous permet de lire la mire C (58 lignes/mm à 50X), notre cercle de confusion sera alors de 1/58mm = 0,017mm et on aura une image avec une très bonne définition et moins de profondeur de champ.
Historiquement, pour les tournages en 16mm, on a pris un cercle de confusion de 0,012mm. Mais cette valeur fonctionne seulement si on utilise des optiques avec un pouvoir de résolution de 80 lignes/mm !!! Ce qui est peu probable.
Avec les formats numériques, l’essai de résolution est encore plus important vu qu’il y a de nombreux débats quant au choix du cercle de confusion à utiliser. On parle beaucoup de la résolution des caméras, cependant on laisse de côté la première variable qui filtre la résolution : les optiques. Ce qui veut dire que, si on prend un capteur d’une très haute définition, qui peut former une image avec des points très petits, mais que devant on met une lentille de très mauvaise conception à travers laquelle se forme une image avec des points énormes, la qualité de notre image finale sera celle donnée par l’optique, malgré la très haute résolution du capteur. C’est pour cela qu’on doit faire des essais de résolution prenant en compte tout notre système : l’optique et le capteur, et pourquoi pas, le reste du workflow jusqu’à la projection.
La vérité, c’est que ces essais empiriques sont l’unique manière de connaître le véritable pouvoir de résolution de tout notre système, et par conséquent, de connaître le cercle de confusion avec lequel on est réellement en train de travailler, ce qui déterminera en plus la profondeur de champ dont on dispose. Dans le cas contraire, on serait en train de travailler avec des chiffres purement théoriques.