En décembre dernier, Eric Guichard m’a proposé de participer aux tests AFC de la dernière pellicule Fuji. La marque japonaise complète et finalise l’offre de sa gamme Vivid (160T, 500T) avec cette nouvelle Eterna Vivid 250D. Cette génération de pellicules est plus vive, plus nerveuse, c’est-à-dire plus contraste et plus saturée en couleur. Les essais se sont déroulés sur deux jours : le premier chez Alga, dans le petit studio et en extérieur, avec une seule caméra ; le second dans Paris, à deux caméras, sur le Pont des Arts et sous le Pont Neuf.
Matthieu Poirot-Delpech, Jean Noël Ferragut, Dominique Gentil et Eric Guichard se sont mis d’accord sur un protocole d’essais particulièrement parlant. En voici les choix techniques :
- Le scope anamorphique pour avoir la plus grande surface de négatif impressionnée et la projection la plus large.
- A la projection, une référence de keylight d’un côté de l’écran et de l’autre des variations d’exposition. Effet réalisé par une double passe à la prise de vue à l’aide d’un cache/contre cache. On évite ainsi le passage à la truca en tirant un positif par contact directement d’après le négatif, sans inter. La meilleure qualité pour la projection.
- un diaph affiché constant pour ne pas modifier le contraste, la définition et la colorimétrie en cours de test. Seuls l’obturateur et la cadence de la caméra nous ont servi à varier la pose. La meilleure qualité, je vous dis.
Il a aussi été convenu de comparer la 250D Eterna et la nouvelle 250D Vivid pour mettre en valeur leurs différences. Habituellement, pour effectuer ce genre de test comparatif, on dispose d’une seule caméra et on alterne les films. Mais nous avions demandé à Panavision-Alga-Techno de nous prêter deux Panavision Millennium et deux séries Primo Scope que nous placerions sur une seule tête. Les deux caméras ont donc pu tourner en même temps et nous rapporter des images quasiment identiques en terme de cadre, de pose et de lumière. C’était d’autant plus utile que ces essais de pellicule « lumière du jour » n’ont pu être réalisés en extérieur que le 21 décembre, jour du solstice d’hiver, jour le plus court de l’année…
Ici un rappel s’impose. Récapitulons :
- 4 directeurs de la photographie
- 2 premiers assistants op (Ouadi Guenich et votre serviteur)
- 2 seconds assistants op (Antoine Aybes-Gille et Etienne Fu-Le Saulnier)
- 2 caméras Panavision Millennium
- 2 séries Primo Scope
- 1 tête
- 3 jours d’essais
- 2 jours de tournage
Premier pari : tester deux Millennium et deux séries scope en 3 jours.
Deuxième pari : valider la technique du cache/contre cache à la prise de vue.
Troisième pari : mettre deux caméras Millennium avec des optiques Primo Scope sur une seule tête.
Quatrième pari : identifier simplement et rapidement les deux pellicules – Vivid et Eterna – à la projection.
1. LES ESSAIS
Tourner en Millennium avec des optiques primo scope, c’est un peu comme traverser les USA en Cadillac décapotable intérieur cuir sur la route 66. C’est un rythme différent, un peu lent mais très fiable. Les essais en bref : la mécanique est fixe et silencieuse (les griffes sont toujours perpendiculaires au film), l’anamorphose parfaite, les optiques calées, les accessoires nombreux, les caisses lourdes. Vous voyez le tableau ? Multipliez le par deux parce qu’on a tout pris en double !
2. LE CACHE / CONTRE-CACHE
En théorie, les caméras Panavision semblent idéales pour appliquer sur le négatif un effet de cache/contre cache, vu qu’il existe un porte-gélatine qui se glisse dans la caméra, devant la fenêtre. Traditionnellement, on y glisse des gélatines de densité neutre ou de correction de couleurs.
Dans notre cas, il s’agissait d’occulter un peu plus de la moitié de l’image en collant du permacel noir mat sur deux portes-gélatine : un pour pour n’impressionner que la partie gauche du négatif, l’autre pour la partie droite, tout en laissant une petite bande verticale non impressionnée au milieu de l’image pour bien séparer les deux passages à la projection.
C’est cette séparation qui nous a posé problème. A grande ouverture, le porte filtre est trop loin du film pour que les bords du cache/contre-cache marquent une bande verticale nette sur la pellicule : ça diffracte. Il fallait soit tourner à des diaphragmes très fermés, soit se rapprocher du film.
Impossible d’imposer la contrainte du diaph à un opérateur. Encore moins à quatre illustres membres de l’AFC (j’avais déjà attiré leur attention sur le fait que les objectifs primo scope, s’ils ouvrent à 2, ne donnent toute leur mesure qu’à partir de 2.8 ½, 4). C’est donc directement sur l’envers de la fenêtre que nous avons appliqué le cache/contre-cache : un morceau de plastique noir souple à la bonne taille, un peu de permacel pour le maintenir en place et le tour est joué. Osé – pourvu que le cache ne se décolle pas de la fenêtre et ne casse le mouvement de l’obturateur… – mais diablement efficace. Subsistaient deux difficultés rapidement surmontées :
- Bien repérer la position du film par rapport à la fenêtre au moment de l’enlever pour faire coïncider les deux passages. Il suffit, comme pour une fixité, de tracer une petite croix au feutre sur la moitié du film exposée avant de retirer la pellicule du mouvement pour enlever la fenêtre et déplacer le cache de l’autre côté.
- Ne pas se tromper entre la position du cache et la partie du cadre que l’on impressionne sur le film. D’autant que le cache ne se voit pas dans la visée. Il suffit de se rappeler que l’image se forme à l’envers sur la pellicule. Ce qui est en haut à gauche de la fenêtre est en bas à droite sur l’image. La règle à suivre est donc simple : placer le cache du côté cadré (par exemple, sur les photos ci dessous, c’est la partie gauche de la fenêtre qui est occultée, c’est donc la partie gauche du cadre qui est impressionnée).
Fred Lombardo nous a aidé à déterminer précisément sur la fenêtre le milieu de l’image dans sa largeur et l’a repéré d’un petit coup de crayon sur l’envers de la fenêtre.
3 . LA LAMBDA TWIN 3D
Pour le tournage du lendemain à deux caméras, on avait imaginé utiliser une tête manivelle pour poser nos deux Millennium. Mais le poids de l’ensemble dépassait les performances techniques des têtes classiques.
Or depuis quelques temps, une étrange tête fluide trônait à l’entrée de l’atelier machinerie, une sorte de Lambda double, destiné à la prise de vue 3D. Un tour au planning, l’accord de Lucien Sbrizzai et de Patrick Leplat : nous aurions cette tête avec nous. Solidaires d’une large plaque métallique, les caméras filmeraient simultanément la même action avec une légère correction de parallaxe.
Impossible dans cette configuration d’utiliser les paresoleils. Nous envisageons de gaffer les filtres sur l’objectif si nécessaire (il n’y en a pas eu besoin) et de nous servir d’un simple drapeau sur un bras magique comme volet supérieur. Le cadre est déterminé à l’aide de 2 Transvidéos.
Sur le Pont des Arts
En situation, sous le Pont Neuf
4. TEST COMPARATIF : IDENTIFIER LES DEUX FILMS
Là encore, pour rendre les deux pellicules immédiatement identifiables à la projection, on a bidouillé des trucs dans le bazar…en collant un petit morceau de permacel dans le coin inférieur de la fenêtre de chacune des caméras : à droite pour la 250D Eterna, à gauche pour la 250D Vivid. A la projection, ces coins apparaissaient donc en haut à gauche pour l’Eterna et , vous l’avez compris, à droite pour la Vivid. Ainsi, dans notre petit scénario, on pouvait passer au montage de l’une à l’autre des émulsions dans le même plan. Les différences des deux pellicules avaient la force de l’évidence. Aucun discours nécessaire. L’image dit tout.
Arane a assuré le développement du négatif et le tirage par contact. Fuji a montré le film le 3 février à l’Espace Cardin – la salle de projection de la CST, qui laisse songeur – lors de la soirée de présentation de la 250 Vivid. Est-il nécessaire de dire combien ce fut un réel plaisir de travailler tous ensemble ? Nous avions du matériel de premier ordre, un challenge technique à relever et l’ambition de faire des tests techniques qui soient simples et intelligibles.
Pour en savoir plus sur cette nouvelle émulsion : ETERNA Vivid 250D
La fine équipe :
Merci à Isabelle Piedoue et Hervé Chanaud de Fujifilm pour leur enthousiasme communicatif. Merci à Jean-Noël Ferragut, Dominique Gentil, Eric Guichard et Matthieu Poirot-Delpech pour leur confiance. Merci à Alexis Petkovsek, Patrick Leplat, Fred Lombardo et toute l’équipe de Panavision pour leur soutien sans faille et leur écoute attentive. Merci également à nos deux seconds, Antoine Aybes-Gille et Etienne Fu-Le Saulnier pour leur présence indéfectible.