Ce samedi 7 mars 2020, dans la salle de projection de TSF, nous assistons à la présentation des essais comparatifs d’optiques réalisés par l’AFC et co-produits par l’AFC et Louis-Lumière. Le chef opérateur Martin Roux qui a participé à sa création est parmi nous pour en discuter.
Cette projection est faite « à l’aveugle » (aucun nom d’optique n’est affiché, seules des étiquettes les représentent). 33 séries d’optique à raison de 2 optiques par série (le 25mm et 50mm pour les sphériques ; le 50mm et le 100mm pour les anamorphique) sont présentées. Nous remplissons des feuilles distribuées en début de séance qui nous permettent de noter nos impressions, notre ressenti. En fin de projection, les correspondances entre étiquette et nom de l’optique nous sont révélées.
Comment est née l’idée de ce vaste essai ?
Quelle en fut sa méthodologie de tournage et de postproduction ?
Aux origines du projet
L’envie de faire des tests comparatifs d’optiques de grande envergure est venue à Denis Lenoir AFC, ASC, il y a quelques années. À cette époque, Denis et ses assistants comparent 3 séries d’optique à « l’aveugle » pour la préparation d’un film. Les résultats en projection sont exactement le contraire de ce qu’ils s’attendent à voir, leur faisant réaliser qu’ils sont victimes de préjugés et que les idées qu’ils ont de ces optiques sont principalement fondées d’aprioris.
Denis décide alors de s’entourer de collègues et d’amis (Caroline Champetier AFC, Pascal Lagriffoul AFC et Martin Roux) pour mener à bien le projet d’un vaste comparatif d’optiques.
Ensemble, ils cherchent à déterminer la manière la plus exhaustive qui permettrait aux spectateurs de juger les optiques standards du marché actuel.
Excluant l’idée d’une projection technique interminable (modèle statique, fond noir, bougie, charte de couleurs …), ils s’accordent pour faire des images qui soient au plus proche d’un plan de cinéma.
Bien conscients que tous leurs choix pourront être discutables, c’est en toute équité et honnêteté intellectuelle (sur la base de compromis) qu’ils déterminent les caractéristiques techniques des futurs plans.
L’idée retenue est de tourner ces tests indépendamment du fait que les optiques soient sphériques ou anamorphiques. Pourvu qu’elles soient standards et couvrent le Super 35. Il faut donc s’accorder sur les caractéristiques techniques liées à la prise de vue. En gardant en tête de se rapprocher de l’utilisation que l’on en a en tournage.
Choix du diaphragme de tournage
T2.8 pour les optiques sphériques / T4 pour les anamorphiques.
D’abord, T2.8 et T4 sont des gravures de diaphs présentes sur chacune des optiques testées. Cela permet aussi de travailler à une profondeur de champ commune dans chaque univers d’optique testé.
Aussi, il était exclu de travailler à pleine ouverture avec des optiques « vintage ». D’une part, pour éviter de générer des problèmes optiques supplémentaires (en plus de leur statut de « vieille » optique) et d’autre part, parce qu’elles ne sont pas télécentriques (par conséquent, l’angle d’incidences des rayons, moins perpendiculaire que sur des optiques modernes, est peu adapté à l’usage sur un capteur comme celui de l’Alexa et de son capteur CMOS). Enfin, Caroline, Denis, Pascal et Martin s’accordaient pour dire que ce « T2.8 / T4 » est un diaph qu’ils utilisent en tournage de manière courante.
Choix du format d’image
2.00 :1 est le format retenu.
C’est à la fois un compromis et une neutralité esthétique entre un format « standard » américain 2.39 et européen 1.85. Aussi, en 2.00 :1, les 2 fenêtres (sphérique et anamorphique) sont assez semblables. Leurs nombres de pixels sont proches, leurs définitions apparentes aussi.
Choix du corps caméra
L’Alexa SXT est la caméra retenue.
La question de réaliser les tests avec plusieurs corps s’est posée et est apparue trop ambitieuse. Pour se rapprocher d’un plan de cinéma, deux optiques par série sont choisies. Un point de montage, enchainant les deux focales, est alors possible :
- Le 25mm et le 50mm pour les séries sphériques.
- Le 50mm et le 100mm pour les séries anamorphiques.
Choix du décor
Il a tout de suite été exclu l’idée de tourner ces tests dans un espace borniolé en noir, avec une charte de couleur et un modèle statique.
Ces éléments, bien qu’efficaces pour déterminer certaines caractéristiques optiques, sont trop loin d’un plan de cinéma. Trop loin de ce que l’œil à l’habitude de voir, de « juger ».
Il a donc été réfléchi un espace, où nos optiques seraient confrontées à un large éventail de situations visuelles. Leur faisant retranscrire des zones aux rendus classiques et d’autre les mettant plus en « danger ».
C’est donc en studio qu’il est décidé de créer ce décor complet. L’école Louis-Lumière met à disposition un studio pour sa construction. L’ADC (association des chefs décorateurs) et Michel Barthélemy ADC travaillent à sa conception. Les élèves de l’école Louis-Lumière aident à son montage.
La présence d’un avant plan et d’un arrière-plan crée de la profondeur dans le champ. En faisant varier la mise au point entre ces deux espaces, il est possible d’apprécier l’évolution du flou et le pompage optique mais aussi de créer différentes valeurs de cadre dans un même plan.
L’équilibre des couleurs a été réfléchi pour permettre l’analyse de la réponse chromatique des optiques. Ainsi, des couleurs primaires sont mises en contraste avec des couleurs secondaires et complémentaires. La lumière blanche de la baie vitrée vient contraster avec la lumière chaude de l’intérieur de l’atelier.
Il est choisi des lampes dont les abat-jours filtrent et modélisent la lumière. On trouve aussi des ampoules à nue qui, par leur ponctualité et leur dureté, permettent l’analyse du bokeh de l’optique et sa capacité à flarer. La baie vitrée, large source diffuse et étale, place quant à elle les comédiens en situation de contre-jour.
Les essais caméra (préparation des 66 optiques et de la caméra)
L’AOA est invitée à se joindre au projet et participe à la coordination de la phase des essais caméra ainsi que celle du tournage.
Les loueurs caméra, enthousiastes à l’idée de faire partie de cette aventure, nous ont transmis les listes d’optiques pouvant être mises à disposition.
C’est au final une liste de 33 séries d’optiques fixes qui est disponible pour ces tests.
Les enlèvements ont lieu sur une journée.
Un régisseur et un assistant font la tournée des loueurs participants (Nextshot, Panavision, RVZ, Transpacam, TSF, Vantage) pendant qu’une première partie des assistants commencent les essais caméra chez Panavision.
Comme pour des essais classiques, mais avec 66 optiques, le matériel est regroupé et testé.
La caméra est passée à la lanterne. Nous connaissons sa côte grâce à l’optique de référence.
Les neutres sont mesurés au spectrocolorimètre.
Les écrans sont calibrés.
La RED qui permettra d’analyser les optiques au laboratoire de l’école Louis-Lumière est aussi passée à la lanterne.
Au vu du nombre d’optiques, de l’utilisation que l’on va en avoir et de leurs multiples provenances, nous décidons de ne pas les caler.
Nous notons pour chacune des optiques :
- Sa focale
- Son fabricant
- Son modèle
- Son numéro de série
- Son loueur
- Sa caractéristique optique (sphérique ou anamorphique)
- Sa monture (PV, PL)
- Son calage
- Des remarques sur l’optique qui nous aideront en tournage (bague en mètre, quel pignon pour Follow, ouverture max, soufflets de pare-soleil à utiliser, etc. )
Le tournage : méthodologie
Le tournage est prévu sur deux jours avec un jour « extra » en cas d’imprévu.
Chaque journée est organisée en deux parties :
- Le matin de la 1re journée est réservé aux 25mm sphériques. L’après-midi aux 50mm anamorphiques.
- Le matin de la 2e journée est réservé aux 50mm sphériques. L’après-midi aux 100mm anamorphiques.
La caméra ne bouge qu’une fois par jour.
Les mouvements de comédien, de cadre et les bascules de point se répètent.
Aidés par un enregistrement vocal qui « bat » la mesure, ils sont précis et se ressemblent.
À chaque début de plan est filmé une charte de gris et une Lili ainsi qu’une ardoise d’identification optique.
De cette manière, notre D.I.T, Olivier Patron, procède à un étalonnage minimum, le but étant d’effacer d’éventuelles dominantes colorées et de ramener tous les plans à la même luminosité.
« Pas de sharpening, ni de floutage. Pas de fenêtres d’étalonnage. Le contraste, les noirs et les hautes lumières ne sont évidemment pas altérés. » assure Denis.
Rien de plus qu’un passage minimaliste en étalonnage. Ainsi l’optique n’est pas dénaturée et l’œil du spectateur est protégé de trop grands écarts qui altèreraient son jugement en projection.
L’optique sur la caméra est aussi protégée des flares liés à l’éclairage plateau.
En revanche, nous laissons vivre les flares d’éclairage de jeu (contre jour, lampe, ampoule, etc.).
Le côté répétitif, mécanique et long de l’exercice met en avant la nécessité de donner des taches définies, précises et limitées à chacun des assistants.
Il ne faut pas rater d’informations, oublier une focale, perdre le fil dans la logistique de passage des optiques.
À cela s’ajoute le regard des directeurs de la photographie qui ne cadrent pas le plan.
Tous ces regards travaillent à ce que les plans se ressemblent, que le rythme du cadre soit le même, que le point soit bon et que l’optique ne soit pas flarée.
Aussi, pour garder une continuité esthétique sur nos comédiens, une maquilleuse est présente sur le plateau. Elle veille, en plus de son travail fait en préparation, aux raccords maquillage, coiffure et costume, tout au long des deux journées de tournage.
Analyse technique des optiques à Louis-Lumière
En parallèle du tournage, un assistant fait la navette entre le plateau et les laboratoires d’optique et de sensitométrie de l’école Louis-Lumière (sous la direction de Pascal Martin et d’Alain Sarlat). Les élèves de l’école y font des relevés techniques optiques. Ces tests, via le logiciel DxO Analyzer, ont pour but de qualifier et quantifier les « caractéristiques » optiques des objectifs.
La FTM (fonction de transfert de modulation) est mesurée. Elle correspond à la définition de l’optique en fonction du contraste, aux aberrations chromatiques, au vignettage, à la distorsion et au flou perceptif.
Le principe est de photographier successivement deux mires spécifiques, éclairées de façon parfaitement homogène en faisant attention à ce que le capteur soit bien parallèle à la mire. Le logiciel analyse ensuite les photos de ces mires pour calculer les différentes aberrations. La RED HÉLIUM est utilisée. Les photos sont prises en RAW. Les optiques sont ouvertes à T2.8 (sphérique) et T4 (anamorphique).
Les photos sont converties en .tiff sur RedCineX puis ouvertes sur le logiciel d’analyse DxO pour obtenir les résultats souhaités. Les mesures tiennent compte des optiques, mais aussi du traitement de l’image par le capteur.
NB : Ne possédant qu’une monture PL pour la RED Hélium, nous ne pouvons pas passer toutes les optiques sur ce banc.
Ci-dessus : Maquette des données récapitulatives des tests optiques au laboratoire Louis-Lumière.
Projection en salle des essais
Ne pas faire une projection trop longue (peur de perdre le spectateur et de fatiguer son œil) est apparu comme le point de départ de la réflexion. Lui laisser le temps de l’analyse et de prendre des notes aussi.
Pour reposer l’œil, un gris neutre est intercalé entre chaque série optique et les plans n’excèdent pas 25 secondes. Pour garder l’anonymat des passages optiques, une nomenclature est mise en place.
Pour permettre aux spectateurs de se concentrer sur un aspect de l’optique, plusieurs DCP sont créés (Douceur et dureté, Flare, etc.).
Pour accompagner la projection, une feuille d’évaluation est proposée.
Elle suit l’ordre des passages optiques et contient des cases pour les modules spécifiques. Aucune consigne n’est donnée pour remplir les cases. L’évaluation est subjective. Les notes personnelles.
Ces tests optiques s’inscrivent dans le temps. Celui dans lequel ils ont été tournés, avec les optiques et le matériel disponible choisis à ce moment. Il ne fait aucun doute que les goûts et la perception évolueront au fil du temps.
Caroline, Denis, Pascal et Martin s’accordent et soulignent « qu’il n’est pas question d’établir par ces essais un palmarès des objectifs de prise de vue cinéma (…) mais bien de faire un état des lieux, décrivant en quelques concepts et termes simples les qualités propres de chacun des objectifs testés ». Martin Roux remarquera même que les résultats qu’il a obtenus de ses propres tests n’ont pas été les mêmes en fonction du film qu’il préparait.
Ce sera donc à chacun de se faire son opinion sur ces tests et d’en tirer profit.
Un site internet est en projet de construction. Toutes les données y seraient publiquement diffusées. Un splitscreen et un menu sélectif y sont évoqués permettant la comparaison plan sur plan de deux optiques.
L’AFC et l’AOA tiennent à remercier très sincèrement l’ensemble des loueurs ayant participé à ces tests :
- Panavision pour la mise à disposition des optiques, de l’ensemble des écrans et du matériel technique ainsi que les bancs d’essai.
- ARRI pour la mise à disposition de l’ALEXA SXT.
- Be4Post pour la station D.I.T d’étalonnage et de stockage on set.
- Nextshot pour la mise à disposition des optiques et de la RED.
- RVZ pour la mise à disposition des optiques.
- Transpacam pour la mise à disposition des optiques.
- Vantage pour la mise à disposition d’optique.
- TSF pour la mise à disposition d’optique et la mise à disposition de leur salle de projection qui aujourd’hui encore permet de faire vivre les essais dans d’excellentes conditions.
Un grand merci également à tous les comédiens et techniciens présents sur le tournage :
- Comédiens : Eurydice El-Etr, Félicien Forest
- Régisseur : Olivier Barges
- Maquillage / Coiffure : Alice Bourlanges
- D.I.T : Olivier Patron
- Stagiaire image : Amandine Reins
- Assistants Opérateurs Associés : Adrien Guillaume, Aurélie Temmerman, Arthur Schwarz, Clotilde Mignon, Cyril Lèbre, Farid Karioty, Hans Agonglo, Isabelle Bregeaud