Tout d’abord, je souhaite vous faire part de mon énorme déception, et c’est un euphémisme, de voir que les français ne viennent pas à l’événement certainement le plus important du milieu de l’image au cinéma. Quand on croise énormément de brésiliens, d’argentins, de chiliens, d’indiens, (d’américains n’en parlons pas), qui viennent de l’autre côté de la planète et des français qui se comptent (sans mentir) sur les doigts de la main alors qu’il y a 1h30 de vol low cost à 60€ environs, on se pose des questions. Les anglais, écossais, allemands, italiens, tous y sont massivement présents. C’est un constat tristement partagé avec les présent(e)s Natasha Chroscicki, Benjamin Bergery, ou encore Michel Abramowicz. Peut-être que les assistants caméras,cadreurs, étalonneurs, opérateurs stead et chefs opérateurs des autres pays que la France n’ont pas de travail alors ils ont le temps de venir? Peut être que nous français, sachant tout d’avance, nous n’avons rien à y apprendre? Nous n’avons pas besoin de partager, développer ou faire avancer notre métier car la situation est optimale et rien n’est à changer?
Je tacle un peu mais mon objectif n’est pas de faire la leçon: Camerimage, qui fête cette année son vingtième anniversaire, est un endroit et un moment incroyable pour tout passionné de cinéma et de lumière, et je vais essayer d’en parler pour que vous puissiez vous en faire une petite idée en développant ci-dessous.
Pour ceux qui apprennent l’existence de ce festival (les non-professionnels de l’image donc – allez, un dernier tacle), sachez qu’il a lieu tous les ans, pendant une semaine, à cheval entre novembre et décembre. Cela se passe donc annuellement au même endroit, à Bydgoszcz (à Łódź jusqu’en 2009), centre nord de la Pologne. Pour des prix remis par un jury récompensant la « cinématographie » des œuvres, le festival se compose d’une sélection de longs métrages en compétition officielle, idem pour les courts, les clips vidéos et les documentaires répartis en deux durées. Parallèlement, plusieurs sélections, workshops, séminaires et présentations. Je vous invite à vous rendre sur le site de Camerimage pour plus d’infos, ainsi que pour connaître le palmarès: http://www.pluscamerimage.pl/?lang=en
Il y aurait trop de chose à dire pour faire le tour de ce festival, mais je vais essayer de vous faire part de mes projections, rencontres et découvertes. Comme il y a plusieurs choses en même temps (6 salles de projections, un studio d’atelier et une salle de séminaire en continu), j’invite les autres personnes (ok, j’arrête) à raconter leurs programmes respectifs dans d’autres articles. Pas d’ordre chronologique, j’ai regroupé par idées en vrac, selon des thèmes.
La nouveauté matériel la plus intéressante selon moi: une nouvelle série d’optique Hawk appelée « One » et devinez quoi? Tout à fait, ils ouvrent à 1.0 et après les avoir testé personnellement, je peux vous dire qu’ils sont gorgeous. Ils ont une particularité qui raviront certains, d’autres peut-être moins. Sous 1.4, les optiques produisent un effet entre shift and tilt et diffusion encore jamais vu. Ce phénomène apparaît surtout dans les zones à contraste, et on a vraiment l’impression qu’il s’agit d’un effet ajouté en post-production, car il n’a aucune ressemblance avec ce que l’on peut actuellement créer de manière optique. Après discussion avec les responsables de Vantage, il s’agit d’un choix délibéré. Pour eux, il y avait deux possibilités: soit faire une série légère (environ 1,7kg par optique, ce qui est peu) ouvrant à 1.0 avec cet effet, soit construire une série sans l’effet (ou diminué du moins), mais au prix d’optiques beaucoup plus lourdes et plus chères s’il fallait les commercialiser à l’heure actuelle. Ainsi, cette série sera appréciée en beauté pour son effet à pleine ouverture (difficile d’attendre après ce que j’ai vu), ou pour des films qui désirent se faire autour de T2.8, car il s’agit de son ouverture idéale (habituellement, les ouvertures idéales des optiques se situent autour de 5.6). La commercialisation est prévue début 2013 sous 2 versions, classique ou « Enhanced Flares » (celle que j’ai testée), avec un calendrier concordant au Micro-salon 2013 de l’AFC pour de plus amples présentations.
Parmi les nombreuses rencontres, celle avec Billy, un jeune chef op’ anglais qui, entre deux tournages, rénove et recarrosse de vieilles optiques Planar pour y mettre une monture EF, ainsi qu’un crènelage standard pour follow focus. L’idée est simple est ingénieuse. Pour ceux qui veulent avoir une série fixe pour leur 5D ou autre (elle couvre du « full frame ») à très bon prix, je les invite à se renseigner et voir plus d’images sur son site: www.kinelenses.com
Workshop intéressant, celui de Arri, où a été présenté un prototype d’Alexa pour filmer en noir et blanc: le capteur a subit quelques transformations, le filtre anti infra-rouge serait escamotable, l’enregistrement en LOG « mono », et les essais caméra montrés sont intéressants: le capteur monocouche n’apporte pas plus de sensibilité, mais beaucoup moins de bruit et un piqué plus important. Des essais comparatifs sans et avec filtres yellow, red et infrared ont également été présentés. Ensuite, une session d’étalonnage en live sur Da Vinci a montré les possibilités de cet encodage monochrome, sur des images elles aussi tournées en live durant le workshop par le chef opérateur.
Chaque détail compte: ma curiosité m’a poussé à regarder les accroches de câbles sur la Dolly utilisée pendant le workshop. C’est malin, facile à installer et pour l’instant pas vraiment présent sur la machinerie en France. J’en profite donc pour vous en faire part.
Paul Cameron ASC, a animé un workshop pour Red: contenu intéressant, mais ce qui m’a sauté aux yeux en écoutant les dialogues entre animateurs et chefs opérateurs dans le public, c’est cette demande actuellement grandissante d’optiques dites « vintages », tel les séries « Vintage » de Hawk et « PVintage Primes » par Panavision. C’est un peu le paradoxe en cinéma (avant on cherchait l’image sans défaut, et maintenant qu’on y est très proche grâce à l’évolution du matériel caméra et optique, les canons visuels penchent (par besoin d’authenticité, par nostalgie, par manque d’organisme?) vers l’ajout de grains, de rayures, et évidemment de flares, halo, et autres défauts(?)/effets d’optiques. Exit traitements anti-flares et anti-reflet, ces séries sont à utiliser dans des conditions assez spécifiques.
On comprend facilement qu’elles soient très bien rentabilisées par Paul Cameron (D.P. sur Man On Fire, Déjà Vu, Total Recall 2012) et par une nouvelle vague de l’action hollywoodienne (Star Trek et Super 8 de J.J.Abrams) qui jouit de halos et flares horizontaux. Cela touche donc moins la production française, hormis que ces séries « Vintage » ont d’autres utilités en mode ou en beauté par exemple. Bref, tendance à suivre.
Intéressant mais à tester ou en voir les images en tout cas: une série d’optiques fixes bi-oculaires pour faire de la 3D; disponible pour l’instant uniquement sur la Phantom 65. On dévisse le support de monture de la caméra pour en adapter un propre à ces optiques (monture large et carrée), couplé à des monteurs de point et de parallaxe, commandes déportées en HF. Ainsi, chaque œil est enregistré sur la moitié droite/gauche de ce capteur de 65mm de large, l’intégration et la visualisation 3D, active, passive ou anaglyphe, se faisant par le biais d’un PC. Avantages par rapport à un « rig » 3D: pas d’alignement, pas de genlock, un seul enregistreur, une config’ plus compacte et moins lourde. Ce système, appelé Zepar, est né d’une collaboration entre Vision Research, MKBK Moscou, et Dedo Weigert Film GmbH à Munich.
Pour ma part, pas énormément de films vu cette année, ayant préféré favoriser les séminaires et les workshops dans mon planning (tout se déroule en même temps).
En projection spéciale, « Life of Pi », d’Ang Lee le premier soir du festival, éclairé par Claudio Miranda: un film en 3D, techniquement et visuellement très impressionnant.
En compétition: « My father’s Bike » (« Mój Rower ») de Piotr Trzaskalski, lumière par Piotr Śliskowski, un film polonais de bonne facture qui parle avec humour et sensibilité des relations et des différences générationelles entre un père, son fils et son petit fils. « Argo » de Ben Affleck éclairé par Rodrigo Prieto: exercice intéressant de raccords visuels entre images d’archives et reconstitutions au début du film, patriotisme et caricature en fin de film à oublier.
La sélection officielle de vidéos musicales (vidéos clips): étrange renouveau du noir et blanc avec 4 clips (plus 2 autres très sépias) sur les 20 nominés (Die Antwoord « I Fink U Freeky » – Photo: Melle Van Essen, Lana Del Ray « Blue Jeans » – Photo: Rodrigo Prieto, Paul McCartney « My Valentine » – Photo: Wally Pfister, Unkle « Another Night Out » – Photo: Steve Annis). Autre tendance moins accueillante, celle de la violence gratuite surfant sur la shocking communication virale de « Stress » pour Justice par Romain Gavras en 2008: sur les 20, 3 clips mettant en scène une armée de CRS, 2 clips avec lacérations, 6 avec coups de poings, 6 avec des morts, des enfants qui se prennent pour des badboys (Coldplay), des badgirls également (M.I.A.). Mais cela parait logique, cette industrie qui se nourrissait avant d’MTV, le fait maintenant à coup d’ « Uncensored Version » sur YouTube.
Instant magique: projection copie 35mm du Dernier Métro de François Truffaut, en hommage à Nestor Almendros dans un petit cinema de quartier, avec sa tasse de café, sa sous-tasse et sa cuillère en argent (« On a pas de gobelet en plastique, prenez le tout en salle et vous nous les ramènerez à la fin de la séance! »). La copie avait du vécu, mais cela rendait la séance encore plus mémorable. Et dire qu’il faut aller en Pologne pour vivre ça…
Film de clôture du festival: « Last Days » en hommage au génial Harris Savides qui l’a éclairé et qui nous a quitté trop tôt cette année, présenté par son réalisateur himself, Gus Van Sant, venu pour cette semaine commémorative (projections de Elephant la veille).
LA leçon de lumière revient au très grand maître Vittorio Storaro, bon pédagogue, qui une nouvelle fois après l’avoir vu en 2009 à Camerimage, a présenté un séminaire sur sa manière de penser et de concevoir la lumière. Actuellement en projet d’un livre et d’un documentaire présentant les 150 chefs opérateurs les plus importants dans l’histoire de l’image au cinéma, à l’aide d’extraits vidéos et de maquettes de livre. Mais il n’était définitivement pas là pour faire de la pub, mais pour nous rappeler à quel point il est important pour un chef opérateur de réfléchir sur l’intérêt de son travail, de sa contribution, de sa logique de création.
Si vous n’avez jamais vu Christopher Doyle en vrai, alors revenez l’année prochaine (c’est un habitué de Camerimage). Ce n’est pas des séminaires qu’il anime, mais des vrais shows! Un mélange d’humour, de sensibilité, de visions atypiques de l’image, et du métier/statut d’artiste que celui de chef opérateur. Ou comment commander une caisse de bière aux organisateurs du festival en faisant une annonce micro en plein milieu de la rencontre sur le mouvement au cinéma, entre un extrait d’une comédie musicale soft porn japonaise qu’il a éclairé, et une vidéo où il s’est amusé dans les rochers à filmer son ombre avec sa camera amateur après une nuit blanche. Et le pire c’est que ça marche. On apprend pleins de choses intéressantes, et il partage les bières qui restent avec ceux qui veulent à la fin!
Les discussions, partages et rencontrent continuent après la clôture du festival dans le club officiel (pas vraiment extraordinaire) du festival. Ou bien mieux, le café/bar éphémère emménagé en face du palais festivalier ( « Landshaft II », et ici un aperçu de l’emplacement habituel), mis en place par quelques jeunes de la ville le temps du festival, dans une ambiance bon enfant et dans un lieu qui rappelle les cafés-galleries d’art berlinois. On y trouve ventes de vêtements vintages seconde main, boissons locales, musiques pointues et jeunes locaux ravi de pouvoir créer et profiter d’un lieu tel au moins une fois dans l’année!
Bookez votre accréditation pour l’année prochaine (début des inscriptions septembre/octobre, clôture autour du 15 novembre), et si un tournage survient pendant la même période, vous pourrez toujours annuler et y venir l’année suivante. C’est ce qui m’est arrivé les deux années précédentes, mais cette année fut la bonne. Je compte sur vous pour l’année prochaine!