L’une des premières choses que l’on apprend en tant qu’assistant opérateur, c’est d’être vigilant concernant les réglages de vitesse et d’obturation, pour éviter les problèmes de flicker, le but étant de mettre en phase la cadence de la prise de vue avec le scintillement des lampes alimentées par du courant alternatif à 50 Hz. Cela se résume aux fameux rapports : 24i/s – 172°8 et 25i/s – 180°.
Pourtant depuis quelques films, les rapports image que je reçois mentionnent régulièrement des problèmes de flickers que l’on ne détecte pas au tournage, ni à l’écran, ni à l’oscilloscope. Rien de méchant, il s’agit à chaque fois de petites sources dans un décor naturel. Par exemple, la petite vitrine dans le hall de l’hôtel où se retrouvent un couple d’amoureux, le bar dont la collection de rhums en a fait un lieu incontournable pour quelques politiques et journalistes en mal de confidences, ou encore la bibliothèque de cet historien dans laquelle se cache une terrible vérité. Vous voyez le décor ? Eh bien c’est lui dont il faut se méfier…
Le point commun à ces décors: ils dissimulent des ampoules LED, solution d’éclairage discrète, peu gourmande et – énorme avantage – qui chauffe très peu. Ainsi la chemise du célèbre tailleur italien exposée dans la vitrine de l’hôtel reste impeccablement blanche, le rhum cubain hors d’age conserve tous ses arômes et le livre rare jaunit moins vite.
Pour comprendre pourquoi ces ampoules battent alors qu’elles sont alimentées par un courant régulé à 230V/50Hz, et que notre caméra est réglée pour être en phase, penchons-nous sur la technologie LED.
• Fonctionnement d’une ampoule LED
Une LED est une Diode ElectroLuminescente. Pour faire simple, au passage d’un courant électrique dans la diode, un électron libère un photon. Mais une LED ne supporte pas le dépassement de l’intensité électrique. C’est la raison pour laquelle on installe un « driver » qui délivre une alimentation en courant continu constant : l’ampérage est fixe. L’explication donnée sur le site belge Energie-plus est éclairante :
« L’équipement permettant l’alimentation de la LED est appelé couramment un « driver » de LED (…). La stabilité de l’alimentation de la LED dépend de la qualité du redresseur AC/DC et du filtre « lisseur » de tension. Suivant la qualité de ce dernier, la fluctuation du flux lumineux (papillotement) peut être source d’inconfort visuel sachant que la LED n’a qu’une très faible rémanence et, par conséquent, n’agit pas comme moyen de lissage supplémentaire. »
Deux exemples de drivers, plus ou moins élaborés.
• Une cause importante de flicker
Il existe deux technologies différentes pour varier l’intensité lumineuse d’une LED.
La première solution pour dimmer un éclairage à LED s’appelle le CCR (Constant Current Reduction). Les LEDs sont dimmées comme une ampoule à filament : le niveau d’éclairage est proportionnel au courant qui passe. Le courant traverse la LED en continu, et est réduit ou augmenté selon que la lumière de la LED doit être atténuée ou intensifiée.
La seconde solution est une technologie dite PWM (en anglais : « Pulse Width Modulation », modulation de largeur d’impulsions). Il s’agit d’une « technique couramment utilisée pour synthétiser des signaux continus à l’aide de circuits à fonctionnement tout ou rien (…). Le principe général est qu’en appliquant une succession d’états discrets pendant des durées bien choisies, on peut obtenir en moyenne sur une certaine durée n’importe quelle valeur intermédiaire. » (Wikipedia).
Avec cette technologie, les LEDs sont allumées puis éteintes très rapidement, grâce à leur très faible rémanence. A pleine puissance, les LEDs ne sont pas éteintes. A 50% de la puissance lumineuse, les LEDs sont la moitié du temps éteintes, la moitié du temps allumées. Il suffit simplement de varier le rapport extinction/allumage pour obtenir n’importe quel intensité lumineuse. Au delà d’une certaine fréquence, notre œil cesse de percevoir le scintillement de l’alternance de la lumière et du noir et voit plutôt une lumière continue. Mais pour la caméra, c’est un autre histoire. Si la fréquence est très élevée (plusieurs centaines de cycles à la seconde), il n’y a pas de problème de flicker. En revanche, si la fréquence n’est pas assez grande (approximativement entre 30Hz et 200Hz), les problèmes de flicker apparaissent à l’image : il y a un déphasage entre la fréquence de prise de vue et la fréquence du battement de la LED.
Les deux technologies ont leurs avantages et leurs inconvénients. La technologie CCR est plus simple mais moins précise. Par sa nature, elle induit une dérive chromatique de la lumière qu’elle produit. De plus, en dimmant en dessous de 10%, la rendement lumineux devient erratique. De ce fait, la technologie PWM est la plus largement utilisée. Elle permet une gradation de l’intensité lumineuse plus large que la CCR (de 1 à 100 %) sans dérive chromatique puisque la LED est alternativement allumée à pleine puissance puis éteinte. C’est aussi la solution retenue pour les LEDs multicolores : chaque LED est constituée de 3 LEDs primaires en RVB. Pour reproduire une couleur non primaire, on les dimme indépendamment les unes des autres. Cependant, un driver PWM est beaucoup plus compliqué à produire, il génère des interférences électromagnétiques et, nous concernant, du flicker à la prise de vue.
• Les solutions
En premier lieu, il s’agit de repérer un éventuel éclairage LED qui bat à l’écran ou à l’oscilloscope. Le plus simple, c’est de resserrer la focale sur la zone suspecte. Mais cela mobilise la caméra et ce n’est pas la solution la plus discrète.
Il existe un moyen de mesurer le battement d’une lampe, d’un écran et même d’une caméra à obturation mécanique. Cela s’appelle un fréquencemètre optique ou Flicker Meter en anglais. Initialement développés pour les mesures de laboratoires, il en existe deux qui ont été pensés spécifiquement pour le cinéma. Ce sont des instruments de petite taille, qui fonctionnent sur pile et qui ont toute leur place dans la bijoute d’un chef-op ou d’un gaffer.
Le premier, le CineSpeedMeter 2 était fabriqué par une petite entreprise américaine située dans le Colorado, LightLine Electronics, qui n’existe plus. Mais il est encore possible d’en trouver d’occasion.
Cinematography Electronics, fabricant du célèbre Cinetape, propose un produit aux fonctions similaires : le Cine-Check. Fabriqué en très petite quantité, il est souvent en rupture de stock. C’est Emit qui le propose à la vente en France.
Ces deux produits sont chers, parce qu’ils sont fabriqués en petite quantité et pour l’industrie du cinéma. Neufs, ils coutent aux alentours de 800€.
En revanche, ils sont extrêmement simples d’utilisation. Il suffit de pointer le capteur vers la source et au plus près, d’appuyer sur le bouton et la fréquence (ou la cadence de la caméra) s’affiche instantanément, avec une précision de l’ordre du centième.
Il existe également des appareils qui mesurent non seulement la fréquence, mais également la luminance, la colorimétrie, le spectre, l’IRC (Index de Rendu des Couleurs) et plus encore. Gamma Scientific fabrique un appareil particulièrement adapté à nos tournages, et dans la même gamme de prix : le UPRtek MF250N Flicker Meter.
Il existe également une application gratuite pour iPhone, Flicker Tester, developpée par Viso System, mais elle est imprécise et ne fonctionne que sur des sources très lumineuses. Elle peut néanmoins dépanner.
Une fois la fréquence connue, il s’agit de savoir s’il est nécessaire de se débarrasser du problème, s’il est tolérable ou si la post-prod peut le prendre en charge. Un éclairage dont le battement est à peine discernable, pris dans un mouvement de caméra, ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde. Si le doute s’installe, il est parfois plus simple d’éteindre ou de masquer la source. En réalité, cela devient gênant lorsque la source touche un visage, ou prend une place significative à l’écran, par sa taille ou son rapport de contraste.
Dès lors, si vous tournez à 24i/s, la seule solution pour gommer le battement est de passer à 25i/s en amadouant l’ingénieur du son et la post-prod, qu’il faut impérativement prévenir et informer au travers des rapports image. A cette cadence, avec du courant alternatif à 50Hz, toutes les obturations sont possibles (à 60Hz, il faut au contraire se mettre à 24 i/s). Pour calculer celle qui fera disparaître le battement de la lumière LED, il suffit d’effectuer un petit calcul simple :
Angle d’obturation = (Vitesse x 360) / Fréquence
Exemple 1 :
si vous mesurez une fréquence de 41,7Hz, alors il faudra régler votre obturateur à (25 x 360) / 41.7 = 215°8.
C’est une obturation raisonnable qui ne devrait pas poser de problème à la prise de vue.
Exemple 2 :
avec une fréquence de 78,3Hz, vous obtenez (25 x 360) / 78,3 = 114°9.
Cette obturation de 114°9 est plus problématique. Dans un décor avec des LED qui marquent, il n’y a souvent pas beaucoup de lumière. Réduire le temps de pose de presque la moitié, c’est difficile : il n’y aura sans doute pas assez de diaph. Il suffit alors de multiplier la valeur de l’obturation par un nombre entier pour conserver la phase, sans dépasser l’ouverture maximale de l’obturateur. On pourra choisir, par exemple 114°9 x 2 = 229°8 ou bien 114°9 x 3 = 344°7.
Cette formule est aussi bien utile pour trouver l’angle d’obturation correspondant à une vitesse inhabituelle. Par exemple, vous tournez à 30 i/s de nuit dans une ruelle éclairée par des ampoules sodium. Du flicker apparaît. Quelle est l’obturation qui va le gommer ? (30 x 360) / 50 = 216°
Voilà un petit tour de passe-passe simple et élégant pour se débarrasser à moindre frais d’un problème récurrent. C’est facile à mettre en œuvre, c’est même réjouissant. Il reste malgré tout une difficulté à surmonter : si plusieurs éléments du décor ne battent pas à la même fréquence, trouver une phase commune relève de la gageure.
Cependant, les drivers de LEDs dimmables avec la technologie PWM intègrent de plus en plus des cycles d’allumage/extinction très élevés (plusieurs centaines de Hertz). A l’avenir, le problème de battements de LEDs devrait disparaître. Mais la formule reste utile si vous êtes confrontés à des appareils dont la fréquence est exotique (écran cathodique d’ordinateur, tableau de bord de voiture, horloge digitale…).
Pierre Chevrin avec la complicité de Cyril Lèbre